Ma Résilience personnelle

Mon père, architecte argentin de 30 ans en stage à Genève, disparut sans laisser d’adresse lorsque la jeune anglaise de 18 ans qu’il fréquentait lui apprit qu’elle était enceinte. Neuf mois plus tard, ma mère qui était venue travailler pour apprendre le français, bien incapable de subvenir à nos doubles besoins, du m’abandonner à son tour après avoir accouché. Je me retrouvais donc seul avec comme unique identité un bout de papier froissé épinglé à mon pyjama portant le nom que ma mère m’avait donné avant de s’en aller.

Je passais les premiers mois de ma vie à la nurserie de l’hôpital et découvrais le monde, rassuré par les sourires anonymes des infirmières qui se succédaient au dessus de mon bac en plastique numéroté. Au bout de trois mois, je fus adopté par une femme médecin-militaire et commençais à exister pour quelqu’un.

Mon enfance fût dédiée à remercier ce couple de m’avoir sauvé. Je m’efforçais de les faire sourire pour les convaincre de ne pas m’abandonner à leur tour. A 12 ans, je découvrais par hasard qu’ils n’étaient pas mes vrais parents. Face au silence que je recevais comme toute réponse aux questions que je n’osais pas poser, je me suis imaginé être le fils caché de James Dean ou avoir été trouvé dans une poubelle. Inquiet et plus sûr de rien, mon adolescence en devint vouée à tester cette bouée dans des eaux où je n’étais pas sûr d’avoir le droit de nager. Malheureusement, avant d’avoir eu le temps d’apprendre à flotter, mes parents adoptifs décédèrent à trois mois d’intervalle alors que je n’avais encore que de 17 ans. Déchiré entre tristesse, colère et culpabilité, j’essayais de ne pas couler.

Ayant été renvoyé de nombreux établissements scolaires, plus aucune école ne voulait me présenter aux examens fédéraux. Je me suis donc inscris en candidat libre et passais seul une maturité scientifique, en mémoire de mes parents disparus. J’entrepris ensuite des études de droit, passais un certificat en création & gestion d’entreprise et montais en 1992 un projet de promotion immobilière par internet. Lorsque je me vis refusé le capital-risque dont j’avais besoin sous prétexte « qu’internet était comme minitel et n’avait aucun avenir », trop impatient pour attendre que mon avenir ne vienne à moi, je décidais de partir chercher des réponses en Afrique.

A mon retour, j’avais décidé de réaliser un vieux rêve d’enfant. Je devins pilote de rallye automobile. Je montais mon équipe, trouvais des sponsors et, au bout de trois ans, prit le départ de la dernière course qui me séparait encore du titre de champion suisse. Ce jour-là, sous la pluie, je percutais un mur à plus de 120 km/h. Toutes les côtes cassées, cage thoracique enfoncée, poumon droit perforé, hémorragie cérébrale et copilote décédé, ce fut le début d’une longue convalescence. Une convalescence qui remonta bien plus loin que mes premiers souvenirs.

Je me suis retrouvé au Pérou à essayer d’aider des orphelins des rues à trouver une place dans la société. Les circonstances ont fait que ce furent ces enfants qui me réapprirent à vivre. J’étais parti pour les sauver et ce sont eux qui m’ont aidé. Ce sont eux qui ont permis à mon passé de faire partie de mon avenir plutôt que de prendre mon présent en otage. Ce sont eux qui m’ont appris que nous sommes tous déjà parfaits derrière nos différences. Ce sont eux qui m’ont appris que la confiance protège davantage que la méfiance. Ce sont eux qui m’ont enseigné que pour que quelqu’un se dépasse, il fallait croire en lui.

James
Suisse